ROSE OU BLEU ? LA GUERRE DES GENRES N'AURA PAS LIEU

Voici quelques objets appartenant à mon bébé (à l’exception près que son jouet biberon a été acheté d’occasion, sans emballage, of course).

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Le rose, c’est pour les filles

Il est très facile de faire 2 observations : tous ces objets contiennent du rose, et, tous ces objets sont communément destinés aux petites filles. On peut conclure assez facilement les choses suivantes : prendre soin, nourrir et câliner (poupée, biberon) sont des activités dites féminines. Ce qui touche aux fleurs ou à la nature (motifs de vêtements, contenu de livres) est également réservé aux petites filles. C’est une conclusion assez dramatique.
Surtout que mon bébé n’est pas une petite fille, et qu’il adore jouer avec ou les porter.

Depuis 70 ans, soit 3 générations, les industriels ont eu la merveilleuse idée de « genrer » les objets destinés aux enfants. Les objets bleus pour les garçons, les roses pour les filles. Avant, nos grands-parents (et peut-être même nos parents) portaient des jupes-culottes blanches, jusqu’à leurs 5 ans, qu’ils soient fille ou garçon. Demandez des photos de votre grand-père bébé, vous verrez bien qu’il était en robe.

Preuve à l’appui, voici une photo de mon grand-père, en 1917. Sacré style, pas vrai ?

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On tire ce code couleur du bec des perruches, qui ont une petite bande de cire colorée -rose ou bleue- selon leur sexe, femelle ou mâle. À l’origine, l’idée est surtout de pousser les parents à consommer plus. Imaginez-vous donc : avant, on achetait un vélo rouge pour son premier enfant, que l’on passait au second et ainsi de suite. Aujourd’hui, il faut un vélo rose à paillette pour sa « Princesse » et un vélo bleu à franges de cowboy pour son « champion ». La belle astuce marketing. Mais cela va bien plus loin qu’un simple code couleur.

Rose pour les filles, bleu pour les garçons. Merci les perruches.

Rose pour les filles, bleu pour les garçons. Merci les perruches.

Tu seras un homme, mon fils

Ces objets, vêtements et jouets ne sont pas simplement colorés, ils sont infusés de mythes sociaux, pour faire grandir des femmes et des hommes « conformes » à leurs genres. Pour que ces enfants deviennent des archétypes de virilité et de féminité comme on l’entend dans la société d’aujourd’hui.

Le petit homme devra donc être viril, puisque c’est ce que l’on attend des hommes depuis des siècles. Il faudra le pousser à être fort, courageux, téméraire, aventurier, explorateur, indépendant, extraverti, à ne pas avoir mal, et ne pas pleurer. Pour tout oser, viser loin, vers l’infini et au-delà. Être actif.
La petite fille, elle, deviendra une future mère. On la poussera donc à être douce, attentive aux autres, à rester calme, créer de belles choses, soigner son apparence, rester à la maison, ne pas prendre de risques, montrer ses émotions. Être passive.

Et je n’invente rien. Cela commence même dans l’utérus de la mère ! Pour les parents qui connaissent le sexe, on dira d’un petit garçon très actif ou qui donne des coups que c’est « un vrai petit mec ». Si la date du terme est dépassée et que le bébé se fait attendre, on dira « qu’elle se fait belle » ou « fignole sa manucure ». Une fois née, on complimentera la petite fille sur ses jolis vêtements ou cheveux alors que l’on dira d’un petit garçon qu’il est drôlement rapide, ou robuste, lorsqu’il déplace une chaise.

Expérience vécue : mon fils de 18 mois qui attrape un jouet dans un sac (en l’occurrence un pistolet à eau avec réservoir, qu’il voit pour la première fois de sa vie) et le commentaire qui va avec “on voit bien que c’est un petit garçon, il a choisi le pistolet !”. Non, mon fils n’a pas choisi le pistolet parce que c’est un garçon et que, c’est bien connu, les garçons aiment jouer à la guerre et se battre pour défendre leur patrie, même à 18 mois ! Non, non, mon fils a pris ce jouet parce qu’il était coloré et surtout parce qu’il possède un réservoir et que visser, dévisser, et remplir, c’est sa passion. En faisant ce genre de remarque, on construit des enfants qui deviendront justement plus tard ce que l’on attend d’eux “selon leur sexe”. Et cela ne leur rend pas du tout service.

Devenir ce que l’on porte

Il suffit de voir les messages et motifs imprimés sur les t-shirts des enfants pour le prouver.
Voici des captures écran de collections de vêtements pour les 3-12 ans que j’ai fait sur des sites de marques de grande distribution. Je rêve de faire ça depuis des lustres, pour montrer la vérité à tous ceux qui disent que c’est du flan !

Voici ce que l’on propose aux petites filles : des animaux mignons, des symboles et accessoires de mode, des messages sur leur apparence physique, des paillettes, nœuds etc, beaucoup trop d’amour, et des bons petits plats.

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Donc pour résumer, si on est une fille on est gentille, on pense à la famille, on est plein d’amour, de mignonnerie, on aime les gâteaux, quand on part en voyage c’est jamais pour l’aventure, et quand on fait du sport c’est pour être belle, pas pour la performance ou le risque. Voilà. “Everyday a party time”, hé bin, elle est bien boring ta journée.

Voilà en revanche ce que l’on propose aux garçons : du sport, de l’aventure, la conquête de l’espace, des voyages, des animaux féroces. Attention les yeux.

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Les garçons ont le droit à des encouragements, du fun, du sport, de l’exotisme, des jeux, des animaux bien féroces. C’est sûr que ça contraste bien avec les messages portés par les filles.

J’aimerais mieux m’habiller au rayon garçon…

La séduction commence bien assez tôt…

Si l’on y prête un peu d’attention, on se rend vite compte que chaque détail est calculé. Même les coupes ne sont pas les mêmes ! Pourtant, la morphologie des enfants est identique jusqu’à environ 12 ans. Cela veut dire qu’une petite fille ou un petit garçon a exactement le même corps (sans compter les parties génitales).
Et pourtant, les shorts et les manches des petites filles sont toujours coupés plus courts. Pourquoi ? Peut-être pour les habituer à plus montrer leur corps que les hommes. Pourquoi ? Parce que les femmes sont hypersexualisées dans notre société et réduites au statut d’objet consommable.

Oh, ne levez pas les yeux au ciel : 67% des personnages sexualisés dans des pubs TV (utilisé comme appât pour aguicher lors de la vente un produit) sont des femmes, d’après une étude CSA de 2017. Et regardez l’apparence que l’on donne aux femmes dans les jeux vidéos ou les films d’action : combinaison moulante ou mini-short, formes voluptueuses. Et non, ce n’est pas valorisant pour la gente féminine d’être limitée à un simple corps, réduit à une seule et unique fonction : la séduction et le plaisir (de l’homme, bien sûr).

Très tôt, on couvre donc nos enfants avec des messages sexistes, destinés à les pousser à devenir ce que la société attend de leur genre. En quoi est-il logique d’habiller une petite fille avec un short plus court, ou avec des jupes, alors qu’à son âge d’enfant elle devrait courir et s’abîmer les genoux ? Pourquoi les garçons n’ont-ils pas le droit d’avoir des t-shirts avec des papillons et des oiseaux ? S’émouvoir des belles choses serait une caractéristique exclusivement féminine ? Les animaux féroces font bien trop peur aux filles, pas vrai ? D’ailleurs, ce n’est pas en enfilant des perles à la maison qu’elles apprendront à s’en défendre si elles en croisent un jour ! sexisme.

(Et si je pousse le raisonnement encore plus loin, le terme même de « bête féroce » n’a d’ailleurs pas lieu d’être. Aucune bête n’est féroce en permanence : le lion passe la majeure partie de sa vie à dormir (ce sont les lionnes qui chassent, pour nourrir la tribu). Tout est une question de point de vue. Je suis sûre que même le T-Rex n’était pas un si mauvais bougre. On catégorise toujours les prédateurs comme des méchants contre lesquels il faudrait se défendre. Les requins, les hyènes, les loups. Alors qu’entre nous, le plus grand prédateur sur Terre, c’est l’homme…)

Action Man, le plus grand de tous les héros ?

Mais ce n’est pas tout. Certains objets sont « destinés » aux garçons, comme les voitures, les dinosaures, les histoires de bonhommes très courageux et aventuriers, des jouets pour faire la guerre, des kits d’observations de la nature… et d’autres sont destinés aux filles. On y voit plus souvent des histoires de princesses en détresse, des poupées aux cheveux soyeux à coiffer, des robes aux mille volants et toute sorte d’accessoires à paillettes, des kits pour fabriquer des bracelets ou des fées en pâte à modeler. Essayez de trouver un kit de travaux manuels pour un petit garçon : c’est presque mission impossible. Les garçons sont faits pour observer les étoiles, construire des catapultes, pas pour faire des personnages en pâte durcissante. Et encore, les choses changent depuis quelques années et s’améliorent doucement.

Pas si innocents les parents…

Oui parce que c’est fou, à 9 mois déjà, ce petit garçon est fasciné par les ballons et les petites voitures, et n’en a rien à faire des poupées. Incroyable, non ? Pourtant, c’est étonnant, rien ne prouve que le cerveau des bébés soit différent selon leur sexe, comme l’explique la neurobiologie Catherine Vidal « les filles et les garçons ont les mêmes capacités de raisonnement, de mémoire ou d’attention ». Le petit garçon est aussi sûrement passionné par les fleurs et les animaux mais peut-être moins encouragé à développer ces passions, inconsciemment réservées aux filles.

Certains comportements normaux cristallisent des remarques sexistes, malgré nous. Le petit garçon a une meilleure capacité motrice et la petite fille un meilleur langage ? On fera des remarques sur un trait de caractère qui n’a pourtant rien à voir avec son sexe ! Imaginez, si une fille parle mieux, ou s’occupe plus d’un poupon, on dira “c’est normal c’est une petite fille” en revanche si ce n’est pas le cas, personne ne dira rien. Ou alors “c'‘est fou qu’il joue autant à la poupée !”

En revanche, certains traits de caractère sont induits par l’entourage de l’enfant, et ne sont pas innés.

Ils sont amenés par nous, leur entourage, les responsables de crèche, les passants dans la rue : la société. Si votre petit garçon est fasciné par les ballons alors que vous jurez ne pas l’avoir incité, c’est que ces clichés sont si profondément ancrés en nous, comme système d’action et de pensée, que nous ne nous en apercevons même plus ! Le livre « Tu seras un homme -féministe- mon fils » de Aurélia Blanc regorge d’exemples et d’études qui prouvent que l’on « fabrique » des petites garçons et des petites filles. Elle donne également des tas d’idées pour déconstruire ces automatismes. Chose difficile !

Inverser ses automatismes et changer son regard

Faites la petite expérience suivante : un jour, habillez votre enfant comme vous le feriez s’il était du sexe opposé (en bien cliché svp). Mettez lui une robe rose et des chaussettes à fleurs si c’est un garçon, et un t-shirt de l’espace avec des baskets si c’est une fille. Laissez-la ou le courir ou faire de la trottinette dans un espace public ou mettez-le dans un bac à sable et observez. Notez les remarques que l’on lui fait, les jouets que l’on lui propose. Lorsque le bébé pleure, ne console-t-on pas plus la petite fille, et ne dit-on pas au garçon que « ce n’est rien » ? Lorsqu’un adulte lui parle, ne complimente-t-il pas plus la petite fille ? Que dira la mère du petit garçon si la « petite fille » le frappe pour récupérer son camion ? Et inversement ? Observez, et notez bien. C’est étonnant !

Élever un enfant non genré ?

Mon bébé n’est pas une petite fille, et je m’efforce au quotidien de satisfaire sa curiosité et ses besoins de bébé, non de petit garçon. Je m’amuse beaucoup à l’habiller avec toutes sortes de couleurs, rose compris (même si je ne lui mets pas de robes). Il est arrivé plusieurs fois que l’on pense que c’est une fille, qu’on l’appelle princesse. Et cela me fait presque plaisir. Non pas que je veuille élever mon fils « comme une fille » c’est à dire tout faire exagérément dans le sens opposé, mais plutôt que les gens réalisent qu’un bébé est avant tout… un bébé ! Un petit être non genré, à la base, indéfinissable en tant que fille ou garçon. Et non « une princesse » ou « un petit mec ». Parce que ces termes sont plein de clichés qui visent, bien malgré nous, à faire des filles des êtres passifs et préoccupés par leur apparence (pour séduire les hommes) et des garçons des êtres destinés à dominer le monde (et les femmes). D’ailleurs, le mot « mec » vient du terme « mac, maquereau », un homme qui gère un réseau de prostitution et qui vend le corps des femmes…

Pour aller plus loin et être sûre de ne pas proposer d’objets genrés à mon bébé, c’est à dire que l’on pourrait attribuer uniquement aux garçons (dans mon cas), je me pose souvent la question suivante : aurais-je fait / lui aurais-je proposé la même chose s’il avait été une petite fille ? Une chose facile à faire avec les jouets par exemple est de se demander avant de les acheter si on pourrait offrir le même à un enfant du sexe opposé. Si la réponse est non, c’est que le jouet est sûrement plein de stéréotypes.

Cela contribue à me pousser dans mes retranchements, à questionner mes automatismes, à me poser des questions. Je ferais d’ailleurs la même chose si j’avais une fille !

Efféminés et garçons manqués : ratés, vraiment ?

Invitons particulièrement nos petits garçons à être à l’écoute des autres, à être emphatiques, attentionnés, câlins. Invitons particulièrement nos petites filles à jouer librement à l’extérieur, à prendre des risques, à s’exprimer, à explorer. Parce que, malgré nous, nous les poussons souvent à faire l’inverse. Aucun risque de voir nos garçons devenir efféminés et nos petits filles des garçons manqués. Au contraire, on y gagnera tous en équilibre, en partage des tâches, en bienveillance mutuelle.

D’ailleurs, ces expressions sont de vraies horreurs ! Efféminé voudrait dire “au comportement féminin” et donc incompatible avec le caractère d’un homme. Le risque ULTIME étant qu’il devienne homosexuel. Grands Dieux. Un homme-feminisé ? Le pire du pire ! La femme ne vaut-elle donc rien pour être l’insulte ultime ? Un homme possédant les caractères que l’on attribue généralement aux femmes n’est PAS un sous-homme, ou un homme raté, une “femmelette”. Quelle pression on met sur le dos des garçons à vouloir les empêcher d’être vulnérables ! Ils deviendront pourtant des hommes qui s’assument, qui acceptent leurs émotions, leurs faiblesses, de bons pères à l’écoute. Un homme qui sort du carcan de la virilité est un individu qui est bien plus fort dans l’affirmation de son être. Et qui ne sera pas un poids plus tard pour sa femme (ou son homme !), car il saura s’occuper aussi bien des enfants que de la maison, “comme une femme”... à nous enfin l’égalité du partage des tâches et de la charge mentale !

Quand aux garçons-manqués, on voudrait dire à l’inverse qu’une fillette qui prend des risques, qui fait du skate, traîne en jeans troués avec les garçons est tout sauf une vraie fille. C’est un garçon raté. En d’autres termes : une fille qui assume sa part d’aventurière n’est pas digne d’être une fille. Une fille qui ose n’est rien de moins qu’un garçon, raté de surcroît, parce que dotée encore et toujours d’un sexe féminin. Atrocité ultime. Et si on pouvait être cool en étant une fille ? Faire autre chose que jouer à la poupée et attendre qu’on vienne nous sauver ? Le petit chaperon rouge, la belle au bois dormant, Cendrillon, ça va bien 5 minutes.

La vulnérabilité, l’empathie, la témérité, la volonté… ne sont pas des caractères féminins ou masculins. Ce sont des traits de caractères HUMAINS. Que chacun de nous gagne à développer et à accompagner chez son enfant.

Accompagnons donc nos enfants a être et rester avant tout des enfants dans toutes ces directions quel que soit leur sexe, et à sortir des carcans des genres. Ils deviendront ainsi des adultes équilibrés, bienveillants, et confiants. Et la société n’en sera que meilleure !