LES MOUVEMENTS MINORITAIRES : DIVISER POUR MIEUX RÉGNER ?

Moi j’ai un truc à dire sur la sororité (mot inconnu par mon clavier, super), le féminisme, les mouvements non-blancs, LGBTQ et toutes ces revendications qui grondaient dans les bas-fond et qui balayent aujourd’hui la surface de la Terre de leur puissance rugissante, pour faire tomber les acquis. C’est beau, c’est lourd, ça claque. On peut enfin parler d’une même voix. Être plus fort.es ensemble. Comme un village qui ferait tomber sa palissade en guise d’invitation. Mais le truc avec ce village, qui est pourtant accueillant, protecteur et puissant, c’est qu’il s’isole quand même des autres, des vilains, et qu’il puise sa force dans le rassemblement via la différenciation. La palissade ne tombe que pour les membres du clan, mais s’érige plus haut pour les autres.

C’est un peu ce qui me dérange avec ces mouvements, justement ; la création du clan cloisonne. En voulant faire bouger les choses, on lève les yeux sur tous les défauts et les tares des vilains : les hommes, les blancs, les hommes blancs (dans la majorité des cas). Je ressens une force, une fierté, une voix, en appartenant à tel ou tel groupe. Mais je ressens aussi de la rage envers les autres, ceux qui sont hors du clan, de ce village. L’enfer, c’est les autres, comme disait l’autre. S’unir sous l’étendard d’une différence -aussi justifiable et nécessaire soit son besoin de reconnaissance et de revendication- contribue à désunir l’humanité. Ce qui est un peu ambivalent quand on y pense, car l’on s’unit alors contre, et non avec, et chaque mouvement ainsi proclamé a son despote à décapiter. Aux armes, citoyens ! À vos claviers ! On se divise (de la société) pour mieux régner, fort bien, mais c’est justement parce qu’on a d’abord été exclu et divisé de cette société que l’on souhaite se rassembler. On répond donc à la division par la division. Ça fait beaucoup de têtes à couper, et beaucoup de problèmes à résoudre. Même en s’excluant parfaitement, à moins d’être un ermite, on continuerait de vivre en société. Créer un sous-groupe issu du groupe, comme une cellule qui se divise sur elle même. Peut-être qu’en fait division x division = multiplication ? J’en rajoute une couche philosophique, tenez : l’exclusion, a-t-elle plus de sens et de valeur lorsqu’elle est choisie ? L’union issue d’une division fait-elle toujours la force ? Vous avez 3 heures.

S’il est nécessaire de pointer ces monstruosités du doigt pour faire changer les choses, on se retrouve vite à vomir sur un système. D’ailleurs pour reprendre l’exemple des hommes blancs, ce n’est pas le genre ni la couleur qu’il faut combattre, mais le patriarcat dont tous ces dérèglements découlent. Et c’est un combat sociétal, pas un combat de clans. Tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais ! Ou alors peut-être que tous ces sous-clans servent la même armée ? Difficile à dire. Pour l’instant, ça tire dans tous les sens sur le front, et la même cible peut cumuler les attaques. Mieux vaut ne pas être un homme puissant, écologiste, blanc et cisgenre (mot inconnu lui aussi), ancien violeur, baignant dans des codes paternalistes. Mais que fera-t-on lorsque toutes les têtes seront tombées ?

De mon côté je n’ai pas envie d’être contre les autres, les hommes, les injustices, le racisme, l’adultisme, le machisme, le colonialisme et tous ces vers en -isme qui nous rongent de l’intérieur. Non par insensibilité ni par couardise, mais pour éviter la bataille -qui est d’ailleurs une notion très patriarcale- et investir mon énergie et ma pro-activité sur ce qui est beau dans l’humain : les qualités, les talents, le cœur, en faisant abstraction du genre et de la couleur de peau. Puiser dans ces différences pour en faire une force complémentaire, pas une force opposée. Changer ce monde de brutes avec douceur et bienveillance. Ne plus dire «  je suis féministe » mais « je suis humaniste ». Parce que la construction d’un monde meilleur passera par la création d’une œuvre commune, où l’humain primera sur les vilains, en gommant les différences physiques au profit de l’amour dans le cœur de chacun. Rassembler pour mieux régner, c’est beau, pas vrai ? (Ou alors sinon arrêter de vouloir régner, tout court). Mais peut-être que je veux aller trop vite, et qu’il est nécessaire de d’abord tout casser avant de reconstruire. L’époque que nous traversons a tout d’un tremblement de terre, et sur son sol craquelé lézardent les failles dont jaillira le magma fondateur du sol de demain.

Finalement, peut-être qu’à trop vouloir se battre pour la reconnaissance de notre singularité, on en oublie que nous demeurons des individus sociaux appartenant à un grand groupe : e pluribus unum (comme disait aussi l’autre), des multiples, l’unité. On gagnerait sûrement à chérir l’union plus que la division. Enfin, tout est une question de calculs.