ASPERGER, L’AUTISME INVISIBLE

Aujourd’hui c’est la journée mondiale de l’autisme. Je ne suis pas experte ni autiste moi-même mais j’aimerais vous parler un peu de ce que je sais, à travers mon expérience de vie et mes recherches.

On a souvent de fausses idées aux sujets des autistes : le mot fait naître des images d’enfants qui se balancent en avant en se tapant la tête, ou d’adultes qui comptent les gouttes d’eau quand il pleut... oui, ces comportements existent, mais certains autistes sont parfaitement indétectables aux yeux de la société, et même à leurs propres yeux : ce sont les Asperger.

Autiste, une différence parfois invisible

Déjà il faut savoir que l’autisme n’est pas une maladie mentale d'origine psychologique mais un trouble du développement neurologique, et d’origine génétique. Le cerveau des personnes autistes ne fonctionne tout simplement pas comme celui des « neuro typiques », les gens dits « normaux » (il faudrait tout un article pour définir ce qu’on appelle la norme, je pense, mais une autre fois.)

Une fois qu’on a compris ça, on peut déjà prendre du recul pour mieux accepter ces différences. Cet enfant ne fait pas de caprice absurde, il est juste submergé par les lumières et les bruits et sa jauge d’énergie est vide. Cet adulte n’est pas antipathique, il a juste besoin de recharger ses batteries seul, parce qu’être au contact d’autres personnes l’épuise, même si personne ne s’en rend compte. S’il ne vous fait pas de câlin, ne mange avec avec ses collègues à midi ou ne rit pas tout de suite à votre blague, c’est juste que ça lui demande un effort particulier, différent du votre.

On préfèrera utiliser plutôt l’expression de « trouble du spectre de l’autisme » (TSA), allant de traits « légers » à « prononcés » car il existe tellement de types, variant tous autour de difficultés d’adaptation sociale et de communication, allant d’un QI très bas (syndrome de Kanner) à un QI très élevé (syndrome d’Asperger). On peut aussi rajouter à cela des troubles liés à l’hypersensibilité (réaction disproportionnée des 5 sens), un comportement répétitif, ou le sentiment d’être un extraterrestre sur la mauvaise planète... Parfois tout à la fois. Chez les Asperger, on appelle ça un « handicap invisible ».


Ne pas trouver son étiquette dans un monde qui en raffole

Les autistes Asperger, ceux qu’on appelle les Aspies, sont souvent assez mal diagnostiqués, ou alors tard, du fait de leurs capacités d’adaptabilité sociale qui augmentent avec l’expérience. On appelle cela le « camouflage », je vous en reparle plus bas. Les femmes, à qui la société demande souvent d’être plus discrètes que les hommes, sont encore moins bien diagnostiquées. On attribue leur retrait ou leur regard fuyant à une timidité, chose que l’on trouvera plus étrange chez un homme... La majorité des adultes portant cette différence ont donc grandi sans savoir qu’iels étaient Asperger, ou alors en se faisant diagnostiquer « seulement » Haut Potentiel Intellectuel (les Aspies sont aussi HPI, mais à l’inverse les HPI ne sont pas tous Asperger).

Surtout qu’on évolue dans un monde qui aime mettre des étiquettes à peu près partout : dès que l’on porte plusieurs étiquettes ou qu’on ne se sent pas labelisable, la société essaye de nous faire absolument rentrer dans l’une de ses cases, à coups de marteau. Et ça marche pour toutes les minorités. Résultat, certains s’auto-persuadent que leur mal-être vient d’eux-mêmes, et qu’ils sont un problème mais sans vraiment savoir d’où ça vient, d’autres continuent à creuser jusqu’à être diagnostiqués, ce qui n’empêchera pas les neurotypiques (les gens « normaux », je vous le rappelle) de ne toujours pas les comprendre et de vouloir les faire rentrer dans leurs cases. C’est un peu comme si on vous annonçait que vous êtes un triangle dans un monde de carrés et que tous les carrés vous disaient que vous êtes vraiment bizarre pour un carré, alors que vous avez spécifié que vous étiez pourtant un triangle… Pour expliquer un peu mieux je vais devoir faire des généralités et dire ‘les Aspies’ pour parler de la majorité des Asperger.


Jouer le mauvais rôle dans la bonne société (ou l’inverse ?)

En lisant et en écoutant les témoignages on réalise que les Aspies se sentent différents et épuisés, mais sans jamais vraiment savoir pourquoi le reste du monde fonctionne différemment. Vous me direz, qui ne se sent pas différent à un moment donné dans sa vie ? Mais je vous parle ici d’une différence qui fait que vous avez l’impression d’avoir été dropé sur une scène d’opéra pour jouer un rôle mais que tous les autres jouent un autre opéra, à tel point que vous vous demandez en permanence si c’est vous qui avez un problème étant donné que les autres ont l’air de tellement bien jouer le jeu (alors que pour vous c’est une lutte adaptative sans relâche) et à quel moment le rideau va enfin tomber. . 

Pour jouer ce rôle, son rôle de personne normale dans la société, l’Aspie doit non seulement faire croire à tout le monde qu’il connaît l’histoire qui se joue, mais aussi apprendre à chanter comme les autres sans saboter l’opéra, imiter les mimiques des chanteurs, et se préparer à saluer la salle à la fin (sauf que ça ne s’arrête jamais). Cela pompe donc toute son énergie, et il a besoin de moments seuls (c’est même vital) pour se retrouver, sans avoir à jouer de jeu, à s’adapter aux situations et aux autres, et à se sentir mal à l’aise et en décalage. Être Asperger, c’est arriver sans mode d’emploi social et devoir en permanence s’adapter à ce monde, essayer de comprendre les expressions, les gestes, le second degré chez les autres, parce que rien de cela n’est évident pour soi. Et en plus, s’entendre dire qu’on est chelou, distant et froid, et qu’on pourrait faire un effort. 


Asperger : caméléon professionnel

C’est pour cela que l’Asperger va développer l’art du camouflage, dont je vous parlais plus tôt. Il a besoin de paraître normal, même si c’est un effort pour lui. Il doit comprendre puis jouer le même rôle que les autres, pour faire partie de la troupe, éviter d’avoir l’air trop différent. Cela pompe toute son énergie, je vous en parlais plus haut, et peut provoquer un sentiment d’être un imposteur qui ne sait plus à la longue qui il est vraiment. L’Aspie peut tellement exceller dans le camouflage que les gens, même proches, lui disent qu’il ne peut pas être autiste puisqu’il a l’air tellement normal ! À moins de voir ces personnes éclater dans un désarrois profond ou faire des crises de colère surdimensionnées, il est presque impossible de déceler un Asperger bien camouflé. Enfant, cette personne a probablement eu beaucoup de mal à s’adapter à la vie en communauté, a jouer avec d’autres enfants ou à simplement faire des câlins. 

Il faut ajouter à ça, souvent, le désintérêt des Aspies dans les petites conversations futiles du quotidien et l’envie de dire des choses censées, justes et profondes (avec les termes exacts), le besoin d’être souvent seul.e pour se ressourcer, l’importance des routines (comme les TOCs) car les choses prévisibles sont rassurantes comme un ancrage, le fait de détester les surprises et les changements de dernière minute, une introspection dans les sentiments et les marques d’affection physique peu visibles (le fait de dire ou de montrer que l’on aime quelqu’un semble surjoué), une hypersensibilité, le fait d’être parfois synesthète (voir le son, le temps, les lettres, ou les entendre par exemple), un sentiment de malaise en public… et j’en passe.


Le fait de décortiquer ces stéréotypes sur les Asperger peut aider les gens « normaux » à mieux comprendre leur fatigue, leurs attitudes, et à s’adapter à eux, pour une fois. 


Si vous vous reconnaissez dans ces traits, il peut être utile de faire ce test gratuit en ligne qui a l’avantage de donner une idée même s’il n’a rien d’officiel. Vous pouvez aussi vous faire tester par des psychiatres spécialisés. Le résultat permet aux gens concernés de mieux se faire accompagner, d’en parler, et de demander de l’aide à des personnes compétentes si besoin, voire même de bénéficier d’aides pour ce handicap invisible. Je vous recommande également la lecture du blog « les tribulations d’une Aspergirl » qui met beaucoup de choses en lumière.


En espérant vous avoir éclairés,
Tiff